Batman - Beyond the White Knight
Dernière mise à jour : 21 juin

Résumé :
Dix ans après que Gotham se soit interrogée sur l'efficacité réelle du Chevalier Noir, Derek Powers a pris le contrôle des actifs de la famille Wayne et utilise l'unité anti-terroriste de la ville pour protéger les citoyens… mais à quel prix ? Le justicier de Gotham est toujours en prison et, en son absence, c'est à Terry McGinnis de prendre la relève. Mais dans cette ville futuriste dystopique, seul le vrai Batman est conscient des dangers à venir…
Critique :
Quelle déception !
Avant de détailler les raisons de cette déception, il me parait utile d'expliquer quelque peu ma relation avec cette série, et mes attentes.
Naissance d'un univers
En 2018, DC lance son Black Label qui vient se positionner à la place de Vertigo comme imprint destiné aux récits plus "matures".
Ce label promet de présenter aussi bien des œuvres non liées à l'univers super-héroïque DC que (et finalement, surtout) des visions d'auteurs nouvelles sur certains personnages de ce dernier, le but étant de laisser une marge créative plus conséquente pour proposer des idées indépendantes de la parution régulière et leur retirer ainsi les contraintes de la continuité et de la cohérence d'univers.
Pour ce lancement, c'est évidemment Batman qui a été choisi comme figure de proue avec le « White Knight » de Sean Murphy, récit encapsulant les promesses édictées ci-dessus. En effet, Murphy profite de ses libertés pour réécrire complètement la mythologie (et la chronologie) du Chevalier Noir à sa manière, déconstruisant le personnage et sa bat-family tout en choisissant des axes de développement de personnages rafraichissant…Et ça fonctionne ! Il en ressort un blockbuster de qualité, avec un fond pas toujours subtilement développé mais pas idiot pour autant, et des dessins impactant profitant d'excellents designs de costumes et de personnages : le comics se place rapidement et logiquement comme LA référence moderne pour découvrir Batman (et ce ne sont pas les multiples éditions françaises – au moins 5 en 4 ans – qui vont démentir ce succès).
Détruire pour mieux construire
Rapidement, Sean Murphy étendra son propre univers désormais doté d'un nom, le "Murphyverse", avec la suite directe « Curse of the White Knight » : une œuvre qui a divisé et dont j'ai personnellement eu du mal au départ à apprécier les intentions tant elle fait voler en éclat l'héritage de son héros et fait table rase de sa fameuse "rogues gallery" via le fil de l'épée d'un Azrael pas assez développé.
Mais j'ai fini par vraiment apprécier cet opus, pour le voir le Star Wars VIII du Murphyverse : un épisode faisant exploser sa propre mythologie pour mieux la faire avancer par la suite et l'amener "au-delà". D'autant qu'avant la "vraie" suite, il y a eu le spin-off centré sur Harley Quinn, un personnage si important dans la saga que son logo s'est retrouvé mêlé au titre dès le début.
Coscénarisé par Katana Collins (épouse de Sean Murphy) et cette fois dessiné par le génial Matteo Scalera, l'histoire nous emmène plusieurs années après les événements de « Curse of the White Knight ». Le développement de cette version d'Harleen est très agréable à suive, elle qui se cherche toujours un équilibre personnel entre son passé avec le Joker, ses rêves partagés avec Jack pour rendre Gotham meilleure, et sa vie de famille encore fraîche ; et même si la menace n'est pas des plus mémorable on sent la volonté et la capacité de l'équipe d'auteur⋅ices à créer de la nouveauté. De plus, la mini-série pose des éléments prometteurs (surtout sa conclusion) semblant si important pour la suite qu'ils me faisaient considérer cette entrée comme un vrai "White Knight 2.5" plutôt qu'un pur spin-off.
Promesses et attentes
Tout ça pour dire que j'attendais « Beyond the White Knight » comme une vraie conclusion de trilogie, utilisant son titre pour annoncer à la fois une réinvention des éléments issus de la série animée « Batman Beyond » mais aussi une volonté d'aller voir au-delà du concept de "Chevalier Blanc" et proposer une alternative à cet idéal chimérique.
On serait alors face à la recherche d'un nouvel équilibre pour Gotham, pas forcément utopique mais qui essaie de faire au mieux malgré un passé houleux, et donc un reflet du parcours d'Harley Quinn que j'imaginais centrale au discours de fond de l'auteur.
La désillusion
Si je comparais « Curse of the White Knight » à Star Wars VIII, je peux voir hélas tout à fait « Beyond the White Knight » comme un reflet de l'épisode IX : je me suis retrouvé face à un récit qui n'ose pas rebâtir quelque chose de totalement nouveau, qui use d'artifices et fait du rétropédalage, nous donne l'impression d'avoir tourné en rond sur ses idées pour finalement nous emmener nul part et au final laisser sur la question : tout ça pour ça ?
Mais là où la postlogie Star Wars a connu des visions de réalisateurs différentes (et incompatibles), la saga White Knight est celle d'un même groupe de personnes.
Replaçons le contexte du début de l'histoire : Bruce Wayne est Batman !
D'accord, ce n'est pas une surprise pour le lecteur (et c'est devenu une très mauvaise blague de faire croire l'inverse) sauf qu'ici ce n'est plus non plus une surprise pour personne au sein de la diégèse.
Suivant les événements de « Curse of the White Knight », Batman s'est démasqué publiquement et a accepté de faire face à la justice pour ses actes de vigilantisme. Il s'est ainsi retrouvé en prison, avec la volonté de donner sa fortune à la ville de Gotham.
Des années plus tard, Bruce est toujours en prison et ce qui reste de sa bat-cave est sous haute surveillance. Un individu parvient à s'y introduire et à voler le costume ultime de Batman, développée entièrement par Bruce Wayne : cet individu est Terry McGinnis, et l'armure est bien sur celle de "Batman Beyond". Mais Terry n'a pas agit de son propre fait, ayant été envoyé par Derek Powers qui a détourné la fortune de Wayne Enterprises pour alimenter ses propres plans ; des plans de méchant au final très basiques et passant par une modernisation de Gotham et une montée en puissance du GTO (la milice anti-terroriste crée par Jack Napier) ayant plongé la ville dans un régime quasi totalitaire.
Ce vol est l'élément déclencheur qui poussera Bruce à s'évader pour gérer le problème, et ainsi découvrir ce qu'est devenue sa ville.
Il y a déjà un premier problème issu du traitement de Terry : le personnage est très en retrait, avec une backstory et des motivations on ne peut plus classiques ainsi qu'un aveuglement initial très cliché à la vraie menace. Ça pourrait fonctionner si à côté on nous le présentait plus en profondeur, mais il semble plus avoir été mis là par obligation et c'est à se demander pourquoi Murphy est allé dans cette direction s'il n'avait pas envie de l'explorer. Au final, cette relève potentielle n'est pour l'instant qu'une tête de plus dans la bat-family, presque l'équivalent d'un nouveau Robin.
« Curse of the White Knight » nous montrait la vraie histoire derrière la famille Wayne, ici on voudrait nous montrer une autre facette de l'histoire de Batman : c'est un héros qui était déjà bien en place au début du premier tome, il est donc normal qu'il ai un gros vécu que le lecteur ne connait pas. Mais Derek Powers et son implication très importante dans la création de la technologie de Batman semblent sortis de nul part ; on se demande d'ailleurs, quand on voit toutes les ressources du GTO, comment Bruce a pu créer une armure si avancée technologiquement qu'il y ai besoin d'aller la voler pour aller plus loin. De plus, son évolution et ce qui va lui arriver sont là aussi forcés pour "faire comme dans Batman Beyond" et on peut se demander ce que ça cherche à nous raconter tant c'est inexploité.
Dans le spin-off sur Harley Quinn la menace était un peu fade. Ici, elle est un cran en dessous mais soit : cela ne pose pas forcément de problème si elle permet de développer de manière intéressante ses opposants, qui sont nos héros, par la manière dont ceux-ci y répondent et évoluent. Et là viennent les autres problèmes que j'ai avec l'œuvre.
Il s'est passé des années depuis l'histoire sur Harleen, des années pendant lesquels les personnages se sont développés.
Le procédé scénaristique n'est pas mauvais mais demande une bonne gestion de la narration pour combler naturellement le gap temporel avec les étapes importantes. Ici il bloque l'intrigue : on se prend de nouveaux statu quo et on essaie d'apporter des résolutions à des situations qui ont dégénéré totalement hors de notre regard, ce qui rend l'empathie avec les personnages particulièrement difficile. Par exemple, impossible pour moi de me sentir concerné par la relation Dick/Barbara tant elle a été construite sur de minces fondations.
De plus, le scénario passe beaucoup de temps à vouloir combler le trou de manière maladroite avec de l'exposition à outrance dans certains dialogues où les personnages, qui eux sont censé avoir vécu ces moments, se rappellent entre eux les événements (pour informer le lecteur) comme s'ils souffraient tous d'amnésie. Le tout manque donc globalement de naturel et les situations semblent forcées.
Mon plus gros point de frustration vient sans doute de ce que l'histoire raconte en fond et de sa manière de le faire, et de l'évolution des réflexions au sein de la saga "White Knight".
Je comprend totalement que le récit puisse plaire, et que soit apprécié ce développement de reconstruction sur la base de Bruce/Batman qui a été brisé dans les opus précédent. C'est finalement une structure d'arc efficace où les personnages vivent des aventures et reviennent à leur point de départ mais un peu transformé ; et si j'attendais personnellement que l'auteur aille au-delà et propose une réflexion plus originale, j'aurais pu sans problème adhérer à son propos et sa vision, sauf que je trouve qu'il a cherché à en faire beaucoup trop en surchargeant son intrigue de personnages avec leurs problèmes personnels plutôt que se concentrer sur un ensemble réduit mais mieux traité.
Même Harley perd sa verve qui en faisait un si bon personnage jusqu'ici pour devenir une femme au foyer dépassée par ses enfants ; des enfants qui devraient être mis en avant dans un spin-off à venir mais qui pour l'instant sont agaçants au possible (en tout cas Jackie, Bryce étant inexistant). Et tout ce qui avait été posé dans l'histoire sur l'ancienne compagne du Joker est comme oublié : on apprend que Bruce est donc bien retourné en prison, a coupé les ponts avec tout le monde (sans vraiment avoir les raisons) ne se renseigne plus sur l'évolution de Gotham (il ne sait même pas que Powers a repris son entreprise et son argent), et que ce qu'il avait donné à Harley, terminant son récit sur une page prometteuse (où elle disait "Je ne te décevrai pas, Batman", preuve qu'il aurait dû y avoir un projet), n'était en fait qu'un plan de secours pour lui-même. On n'a même pas le droit de savoir comment s'appelle la remplaçante de Lou, qui semble être la seule hyène restante, Bud étant surement mort de vieillesse. À n'en point douter je chipote, mais c'est parce que j'ai du mal à comprendre pourquoi avoir introduit du teasing pour finalement prendre une direction opposée.
Vient enfin le développement de Bruce qui bataille avec ce que représente encore Batman pour lui, et son refus d'accepter qu'il fait partie intégrante de qui il est ; intéressant à priori pour évoquer le temps que l'on peut perdre dans sa vie à refuser de s'accepter, mais encore une fois ce n'est pas ce que j'attendais et encore moins fait d'une manière que j'aurai pu apprécier lire.
Via une justification un peu fumeuse, on l'affuble d'un sidekick qui n'est pas sans rappeler le jeu "Arkham Knight", dans une démarche chaussée aux sabots pointure clown qui n'apporte vraiment que du fan-service et des blagues, là où une dynamique plus directe avec un autre personnage, aurait permit d'alléger le récit au global. Plus j'avançais dans ma lecture, plus ce nouveau "personnage" me faisait grincer des dents, et je ne sais en plus toujours pas comment a finit son histoire puisqu'il disparait purement et simplement (j'ai vraiment cru qu'il manquait des pages au dernier chapitre). Qu'importe, c'est le choix qui a été fait pour pousser Bruce à l'auto-analyse, mais celle-ci se résume à "Non je suis plus Batman ! Si tu l'es ! Non !! Si ^^" et ainsi de suite jusqu'au final explosif et précipité, dont les dernières pages nous balance une conclusion à la va-vite, assez pessimiste, annonçant clairement du contenu à venir (potentiellement beaucoup, dont un gros pan orienté sur l'optimisme) et non pas une fin clôturant proprement un vrai triptyque (quitte à relancer ensuite).
Pour terminer – et de manière plus surprenante – je n'ai même pas été convaincu par la partie graphique.
J'aime généralement beaucoup Sean Murphy (surtout avec une bonne colorisation) : il sait indéniablement apporter du dynamisme dans les combats rapprochés ou les courses poursuites, mais surtout il m'a souvent bluffé par son inventivité dans ses designs !
Le costume de Batman avec son fameux col haut, celui de son Joker rappelant Chris de Punk Rock Jesus, son Croc ou bien encore ses nombreuses déclinaisons de batmobiles pour ne citer que ceux-ci, étaient des réussites donnant une identité propre à cette version de l'univers du Chevalier Noir.
Dans The Plot Holes, je l'avais trouvé en deçà car même s'il proposait encore de très beaux visuels je ressentais une certaine répétition qui se transforme ici en lassitude dans « Beyond the White Knight » avec une forte impression de déjà-vu. C'est logique avec un univers déjà en place, on est en terrain connu, mais les nouveautés sont aussi très peu marquantes : Powers et ses cheveux plaqués font trop penser à un vieux Jack Napier, et le costume "Beyond" est très classe mais à l'air de venir de la série animée quasiment non retouché. Enfin, j'ai toujours eu du mal avec les designs propres au GTO, et c'est toujours le cas mais comme il s'agit au fond de d'un détournement impersonnel de l'imagerie de Batman par une police autoritaire, ils sont certes oubliables mais restent à propos.
Attention, le tout reste propre et très lisible, juste plus automatique comme si la muse qui habitait le dessinateur avait pris congé. Très peu de plans m'ont donné une impression d'ampleur propre à me happer à nouveau dans la Gotham de Sean Murphy, d'autant qu'il semble moins maitriser cette version futuriste, plus froide et lisse, qui s'accorde moins avec son trait multipliant les effets griffonnés donnant un aspect brut aux dessins.
Sans cet effet saisissant que je trouvais avant, on voit d'autant plus les manques comme ces personnages seulement en surimpression d'une case vide avec une couleur pour seule décor. Une colorisation sombre comme le reste de la série principale, assez basiques et efficaces mais qui m'ont dérangé sur un personnage en particulier, logiquement haut en couleur mais trop en décalage par rapport au reste…et à la fois terne comme le reste.
On a bien ces sympathiques rappels aux alter ego via leurs ombres, mais tellement incessants qu'ils ressemblent à force à un lourd gag.
Mais il n'y a pas que du Sean Murphy dans ce tome qui propose un interlude centré sur Jason Todd (qui est dans cet univers, rappelons-le, le premier Robin ; un choix assez intéressant). Une histoire scénarisée par Clay McCormack et dessiné par l'excellent Simone Di Meo.
On suit la réinvention de Jason Todd, sa relation avec Bruce/Batman et le fameux point de basculement à cause du Joker, dans LA fameuse scène totalement détournée ici. Son questionnement et sa rencontre avec sa propre Robin (non, pas de Carrie Kelley ici) apportent un changement de rythme bienvenu au sein d'une histoire principale lourde, et permettent d'approfondir un peu Jason…sans pour autant que ce développement apport énormément à l'univers.
Concernant Simone Di Meo, on reconnait immédiatement son style dès l'introduction et la partie flashback la plus lointaine, faisant la part belle aux lumières un peu baveuses que j'appréciais fortement dans « We Only Find Them When They're Dead » mais qui sont un peu too-much dans un contexte plus "réaliste" (autant que peut l'être du Batman, j'entend) mais qui tranche avec celui de Sean Murphy et reste très agréable à l'œil. Cependant, il ne s'agit que des premières pages, et très vite son dessin devient méconnaissable, comme s'il voulait se rapprocher de celui de Murphy et n'arrivait pas à trouver la recette pour mettre son propre trait au service du Murphyverse, ce qu'avait brillamment réussi Matteo Scalera avant lui. C'est d'autant plus incompréhensible qu'en restant sur ce qu'il proposait en ouverture de l'interlude, sa partie aurait été on ne peut plus solide.
Un travail qui à l'air parfois fainéant ou bâclé, et un résultat très surprenant pour cet artiste.
Conclusion :
Pour une histoire hors continuité qui a commencé en osant secouer son univers, cette suite très timide m'a surpris car elle tombe dans les travers de la continuité principale qui ne cesse de recommencer les mêmes choses et fonctionne sur l'enchainement de promesses de choses à venir.
Avec ses 8 numéros (sans compter les interludes), le récit est soit trop court, soit cherche à être trop dense sans arriver à équilibrer sa charge scénaristique. J'ai ressenti un manque de cohésion global et de point de focus clair de ce prolongement de la saga "White Knight".
Dommage, d'autant qu'on retrouve tout du long la même équipe à l'écriture, là où on pourrait presque penser que ce "Murphyverse" a été repris par un yes man de DC pour rendre cet univers le plus prolifique et rentable possible quitte à perdre ce qui le rendait (ainsi que le Black Label) si attrayant au départ.
J'ai désormais très peu d'attente pour ce qui sera proposé par la suite, que ce soit les spin-off dont « Generation Joker » (avec Mirka Andolfo aux dessins) sera le prochain représentant, les entrées plus "majeures" (The White Knight Returns ? White Knight Année Un ?), ou même le développement d'autres pans de l'univers DC.
Fabien.
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